Historique
Extrait de l'homélie 34 du Pape Saint Grégoire le Grand
Prononcée devant le peuple
dans la basilique des bienheureux Jean et Paul
en la Fête de Saint Michel le 29 septembre 591.
(...) 7. Nous avons dit qu'il existe neuf ordres d'Anges. Nous savons en effet, par le témoignage de la Sainte Ecriture, qu'il y a les Anges, les Archanges, les Vertus, les Puissances, les Principautés, les Dominations, les Trônes, les Chérubins et les Séraphins. Qu'il y ait des Anges et des Archanges, presque toutes les pages de la Sainte Ecriture l'attestent; quant aux Chérubins et aux Séraphins, chacun sait que les livres des prophètes en parlent souvent. L'apôtre Paul énumère pour les Ephésiens les noms de quatre autres ordres lorsqu'il dit : «Au-dessus de toute Principauté, Puissance, Vertu et Domination.» (Ep 1, 21). Il dit encore, en écrivant aux Colossiens : «Aussi bien les Trônes que les Puissances, les Principautés ou les Dominations.» (Col 1, 16). S'adressant aux Ephésiens, il avait déjà cité les Dominations, les Principautés et les Puissances ; mais avant d'en parler aussi aux Colossiens, il met en tête les Trônes, dont il n'avait rien dit aux Ephésiens. Si donc on joint les Trônes aux quatre ordres que Paul cite aux Ephésiens ? Principautés, Puissances, Vertus, Dominations ? cinq ordres se trouvent ainsi mentionnés nommément; et si l'on y ajoute les Anges et les Archanges, les Chérubins et les Séraphins, on trouve sans nul doute qu'il existe neuf ordres d'Anges.
C'est pourquoi le prophète affirme au premier Ange qui fut créé : «Tu as été le sceau de la ressemblance, plein de sagesse et parfait de beauté dans les délices du paradis de Dieu.» (Ez 28, 12-13). Il faut noter ici qu'il ne le dit pas créé à la ressemblance de Dieu, mais sceau de sa ressemblance, afin de faire comprendre que sa nature est marquée d'une ressemblance plus exacte à l'image de Dieu, du fait qu'elle est d'une perfection plus achevée. Le même texte poursuit aussitôt : «Ton vêtement est tout couvert de pierres précieuses : sardoine, topaze et jaspe, chrysolithe, onyx et béryl, saphir, escarboucle et émeraude.» Ce sont neuf noms de pierres précieuses qui sont énumérés, puisque les ordres d'Anges sont au nombre de neuf. Le premier Ange nous apparaît orné et couvert de ces neuf ordres d'Anges, parce qu'ayant la prééminence sur toutes les milices Angéliques, il semble encore plus brillant de gloire si on le compare avec les autres.
8. Mais pourquoi avoir énuméré ces différents Choeurs des Anges, demeurés au Ciel, si nous n'expliquons pas également en détail leurs ministères? Le mot Ange signifie en grec «Annonciateur», et Archange, «Grand Annonciateur». Il faut encore savoir que le terme d'Ange désigne une fonction, et non une nature. Car si les esprits bienheureux de la patrie céleste sont toujours des esprits, ils ne peuvent pas toujours être appelés des Anges; ils ne sont Anges que lorsqu'ils annoncent quelque chose. C'est pourquoi le psalmiste affirme : «Des esprits, il fait ses Anges.» (Ps 104, 4). C'est comme s'il disait clairement : «Lui qui a toujours les esprits à Sa disposition, Il en fait ses Anges quand Il le veut.» On appelle Anges ceux qui annoncent les choses de moindre importance, Archanges ceux qui annoncent les plus élevées. Voilà pourquoi ce ne fut pas un Ange, mais l'Archange Gabriel que Dieu envoya à la Vierge Marie (cf. Lc 1, 26). En un tel ministère, en effet, il convenait que le plus grand des Anges vînt lui-même annoncer la plus grande des nouvelles.
Certains de ces Anges reçoivent aussi des noms particuliers, pour exprimer par des mots l'étendue de leur action. Car ce n'est pas dans la cité Sainte, où la vision du Dieu Tout-Puissant confère une science parfaite, qu'on leur attribue un nom propre : on n'y a pas besoin de nom pour connaître leurs personnes ; mais c'est quand ils viennent s'acquitter envers nous de quelque service qu'ils tirent un nom particulier de ce ministère.
9. C'est ainsi que Michel signifie : «Qui est comme Dieu?», Gabriel : «Force de Dieu», Raphaël : «Médecine de Dieu». Chaque fois qu'il est besoin d'une puissance extraordinaire, l'Ecriture nous dit que c'est Michel qui est envoyé : son action et son nom font comprendre que nul ne peut se targuer d'accomplir ce qui est réservé au seul pouvoir de Dieu. L'antique ennemi, dévoré de l'orgueilleux désir de s'égaler à Dieu, déclarait : «Je monterai au ciel, j'élèverai mon trône au-dessus des étoiles du ciel, je m'assiérai sur la montagne de l'Alliance aux côtés de l'Aquilon, je monterai sur le sommet des nuées et je serai semblable au Très-Haut.» (Is 14, 13-14). Or l'Ecriture nous atteste qu'à la fin du monde, abandonné à sa propre force et condamné à périr dans le supplice final, il combattra contre l'Archange Michel : «Il se fit, dit Jean, un combat avec l'Archange Michel.» (Ap 12, 7). Dans son orgueil, le diable s'était exalté jusqu'à se faire l'égal de Dieu ; mais il faut qu'ainsi défait par Michel, il apprenne que personne ne doit s'élever par l'orgueil à la ressemblance de Dieu.
A Marie, c'est Gabriel qui est envoyé, lui dont le nom signifie «Force de Dieu». Ne venait-il pas annoncer Celui qui a daigné paraître dans l'humilité pour combattre les puissances de l'air? Le psalmiste dit à son sujet : «Princes, exhaussez vos portes; élevez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera. Quel est ce Roi de gloire? C'est le Seigneur Fort et Puissant, c'est le Seigneur Puissant au combat.» Et encore : «Le Seigneur des armées, voilà le Roi de gloire.» (Ps 24, 7-10). Il fallait donc que ce fût par «Force de Dieu» que soit annoncé le Seigneur des armées, puissant au combat, qui venait faire la guerre aux puissances de l'air.
Enfin, comme nous l'avons dit, Raphaël signifie «Médecine de Dieu». En effet, cet Archange a dissipé les ténèbres qui rendaient Tobie aveugle, en touchant pour ainsi dire ses yeux par l'intermédiaire des soins qu'on lui a prodigués (cf. Tb 11, 7-8.2). Celui qui a été envoyé pour soigner fut donc bien digne d'être appelé «Médecine de Dieu».
Puisque nous avons donné quelques mots d'explication sur les noms des Anges, il nous reste maintenant à commenter brièvement les termes utilisés pour désigner leurs fonctions.
10. Par les Vertus, on désigne les esprits par lesquels s'opèrent le plus souvent les signes et les miracles.
Par les Puissances, on désigne ceux qui ont reçu, dans leur ordre, plus de pouvoir que les autres pour soumettre les forces adverses à leur autorité, limiter leur puissance et empêcher ainsi qu'elles ne tentent les c?urs des hommes autant qu'elles le voudraient.
Par les Principautés, on désigne ceux qui commandent aux autres bons esprits Angéliques eux-mêmes, qui distribuent à ceux qui leur sont soumis les ordres de tout ce qu'ils doivent faire, et qui les dirigent dans l'accomplissement des missions divines.
Par les Dominations, on désigne les esprits qui dépassent de loin la puissance des Principautés. Car avoir la principauté consiste à tenir le premier rang dans un groupe, tandis que dominer, c'est également avoir chacun des autres sous son autorité. On appelle donc Dominations les troupes des Anges qui, par leur puissance admirable, ont le pas sur les autres, du fait que ceux-ci sont tenus de se soumettre à eux par l'obéissance.
Par les Trônes, on désigne les milices que préside toujours le Dieu Tout-Puissant pour exercer la justice [en étant assis devant elles]. Puisque [le mot grec] trône signifie «siège» en latin, on nomme Trônes de Dieu les esprits qui sont comblés par la grâce divine avec une telle abondance que le Seigneur siège en eux et Se sert d'eux pour prononcer Ses jugements. C'est pourquoi le psalmiste affirme : «Tu sièges sur un Trône, ô toi qui juges avec équité.» (Ps 9, 5)
Chérubin veut dire «plénitude de la science». Les troupes plus élevées sont appelées Chérubins, car ce sont des esprits d'autant plus parfaitement remplis de la science de Dieu qu'ils contemplent Sa Gloire de plus près; à leur mesure de créatures, ils ont une connaissance de toutes choses d'autant plus complète qu'ils s'approchent davantage de la vision de leur Créateur, en vertu de leur dignité.
On appelle enfin Séraphins les milices des Saints esprits qui brûlent d'un Amour incomparable du fait de la proximité singulière où ils se trouvent vis-à-vis de leur Créateur. Séraphin signifie en effet «ardent et brûlant». Ils sont à ce point unis à Dieu qu'aucun autre esprit ne se place entre eux et Lui. Ils sont donc d'autant plus embrasés qu'ils Le voient de plus près. La flamme dont ils brûlent est assurément celle de l'Amour, car leur Amour est d'autant plus ardent qu'ils contemplent La Gloire de la divinité avec un regard plus pénétrant.
11. Mais à quoi bon avoir dit ces quelques mots au sujet des esprits Angéliques, si nous ne prenons pas la peine de les faire tourner à notre progrès par une réflexion adaptée?
La cité céleste se compose en effet des Anges et des hommes, et nous croyons qu'y monteront autant de représentants du genre humain qu'il y est demeuré d'Anges élus, ainsi qu'il est écrit : «Il a fixé les limites des peuples d'après le nombre des Anges de Dieu.» (Dt 32, 8). Il nous faut donc tirer profit pour notre vie des distinctions qui existent entre les habitants de la cité d'en haut, afin de nous enflammer nous-mêmes d'une Sainte ardeur à croître dans la vertu. Car s'il est vrai que le nombre des hommes destinés à monter au Ciel est égal à celui des Anges qui y sont demeurés, ces mêmes hommes qui retournent à la patrie céleste se doivent d'imiter en quelque chose les milices qu'ils rejoignent là-haut. Les diverses manières de vivre des hommes correspondent bien, en effet, à chacun des ordres des milices célestes, et nous recevons une place dans leurs rangs d'après la similitude de notre manière de vivre avec la leur.
Il en est beaucoup qui ne comprennent que d'humbles vérités, mais ne cessent de les annoncer à leurs frères avec bonté : de tels hommes courent rejoindre la troupe des Anges.
D'autres, fortifiés par les dons de la largesse divine, sont capables de comprendre et d'annoncer les Mystères célestes les plus élevés : où les placer, sinon au nombre des Archanges?
D'autres encore réalisent des choses admirables et opèrent des miracles d'une grande puissance : quel est le rang et la place qui leur conviennent, sinon ceux des Vertus d'en haut?
Certains obligent les esprits malins à fuir hors du corps des possédés, et les chassent par la vertu de leur prière et de la puissance qui leur a été donnée : avec qui obtiennent-ils de jouir du fruit de leurs mérites, sinon avec les Puissances célestes?
Il en est qui surpassent, par les vertus qu'ils ont reçues, les mérites des autres élus ; meilleurs que les bons eux-mêmes, ils exercent une principauté jusque sur leurs frères élus : en quel groupe prennent-ils rang, sinon parmi les Principautés?
D'autres dominent si bien en eux tous les vices et tous les désirs, que leur pureté leur donne droit à être appelés des dieux parmi les hommes, comme le Seigneur L'a dit à Moïse : «Vois : Je t'ai constitué le dieu de Pharaon» (Ex 7, 1) : à laquelle des milices courent-ils se joindre, sinon à celle des Dominations?
D'autres encore mettent un soin vigilant à se dominer eux-mêmes et une attention toujours en éveil à s'examiner : ne se départant jamais de la crainte de Dieu, ils obtiennent en récompense de leurs vertus le pouvoir de bien juger également les autres. Le Seigneur, tenant à la disposition de leur esprit la contemplation de Sa divinité, préside en eux comme de Son trône, et Il examine par eux les actes d'autrui, réglant toutes choses avec un ordre admirable du haut de Son siège. Que sont donc de tels hommes, sinon les Trônes de leur Créateur? Et où les inscrire, sinon au nombre des Sièges célestes? Et puisque c'est par eux que la Sainte Eglise est régie, même les élus sont habituellement jugés par eux pour leurs actes de faiblesse.
Certains sont remplis d'un tel Amour de Dieu et du prochain qu'on les nomme à bon droit Chérubins. Si en effet, comme nous l'avons déjà affirmé, Chérubin veut dire «plénitude de science», et si, comme nous le savons par le témoignage de Paul, «la charité est la plénitude de la Loi» (Rm 13, 10), tous les hommes qui aiment Dieu et leur prochain avec une plénitude dépassant celle des autres ont mérité d'être mis au nombre des Chérubins.
Il en est enfin qui sont enflammés par la contemplation des choses d'en haut et aspirent de tout leur désir à leur Créateur ; ils ne souhaitent plus rien en ce monde, ils se nourrissent du seul Amour de l'éternité, rejettent tous les biens terrestres, s'élèvent par l'esprit au-dessus de tout ce qui passe ; ils aiment et ils brûlent, et ils prennent leur repos dans cette brûlure même ; ils brûlent en aimant, ils embrasent les autres en leur parlant, et font aussitôt brûler de l'Amour de Dieu ceux qu'ils touchent par leurs paroles. Que dire de tels hommes, sinon qu'ils sont des Séraphins? Leur c?ur, changé en feu, éclaire et brûle, puisque tout en tournant les yeux des âmes vers les lumières d'en haut, ils les purifient de la rouille de leurs vices en les faisant pleurer de componction. Oui, ceux que l'Amour de leur Créateur enflamme à ce point ont bien reçu vocation à prendre place parmi les Séraphins.
12. Mais tandis que je vous dis tout cela, frères très chers, faites retour sur vous-mêmes et jugez ce que valent vos mérites et vos pensées cachées. Examinez si vous pouvez déjà vous prévaloir au-dedans de vous de quelque bien que vous auriez accompli. Examinez encore si, comme vous y êtes appelés, vous trouvez votre place parmi les milices que nous avons évoquées rapidement. Malheur à l'âme qui ne reconnaît en elle aucun des biens que nous avons énumérés! Malheur pire encore si se voyant ainsi privée des dons [de la grâce], elle ne le déplore pas! Comme il faut déplorer, mes frères, l'état d'un tel homme, puisque lui-même ne le déplore pas!
Mesurons donc les récompenses qu'ont reçues les élus, et aspirons de toutes nos forces à grandir dans l'Amour d'une si haute destinée. Si nous ne constatons pas le moindre don de la grâce en nous, déplorons-le. Et si nous nous reconnaissons gratifiés de dons de moindre valeur, n'envions pas pour autant les dons plus grands que d'autres ont reçus, car même les hiérarchies célestes des esprits bienheureux ont été créées de telle sorte que les unes ont prééminence sur les autres.
Denys l'Aréopagite, père ancien et vénérable, affirme, à ce qu'on rapporte, que ce sont les Anges appartenant aux milices inférieures qui sont envoyés au-dehors, de façon visible ou invisible, pour accomplir leur ministère; en effet, ce sont les Anges ou les Archanges qui viennent pour réconforter les hommes. Les milices supérieures, elles, ne s'éloignent jamais des régions les plus intérieures [du Ciel], parce que du fait de leur prééminence, elles sont dispensées de tout ministère extérieur. Une telle assertion semble être contredite par la parole d'Isaïe : «Et l'un des Séraphins vola vers moi, tenant à la main une pierre brûlante qu'il avait prise sur l'autel avec des pincettes, et il en toucha ma bouche.» (Is 6, 6-7). Mais on doit entendre cette parole du prophète en ce sens que les esprits envoyés en mission prennent le nom de ceux dont ils accomplissent la fonction. On appellera ainsi Séraphin ? ce qui veut dire «flamme» ? l'Ange qui porte le charbon ardent pris à l'autel pour livrer aux flammes les péchés de la langue. Il n'est pas déraisonnable de voir une confirmation de cette opinion dans ce que dit Daniel : «Mille milliers le servaient, et dix mille centaines de milliers se tenaient debout devant lui.» (Dn 7, 10). Ce n'est pas la même chose de servir Dieu et de se tenir debout devant Lui : Ceux qui le servent, ce sont ceux qui sortent pour nous annoncer des messages, tandis que ceux qui se tiennent debout devant Lui, ce sont ceux qui jouissent de la contemplation intérieure, de telle sorte qu'ils ne sont jamais envoyés en mission au-dehors.
13. Mais puisque nous avons appris, par différents textes de l'Ecriture Sainte, que certaines actions sont réalisées par des Chérubins et d'autres par des Séraphins, devons-nous comprendre qu'ils accomplissent ces choses par eux-mêmes, ou qu'ils les réalisent par l'intermédiaire des Anges auxquels ils commandent, en sorte que ces derniers, venant de la part de leurs supérieurs, partagent, selon ce que dit Denys, les noms de ces supérieurs? Pour notre part, nous ne voulons pas affirmer ce que nous ne pouvons prouver par des textes clairs et indubitables. Nous savons cependant de façon certaine que pour accomplir un ministère venant d'en haut, certains esprits en envoient d'autres, comme l'atteste le prophète Zacharie : «Et voici que l'Ange qui parlait en moi sortit, et voici qu'un autre Ange sortit à sa rencontre et lui dit : ?Cours et parle à ce jeune homme et dis-lui : C'est sans murailles que Jérusalem sera habitée.?» (Za 2, 7-8). Du moment qu'un Ange peut dire à un autre Ange : «Cours et parle», il n'y a aucun doute que l'un envoie l'autre. Ce sont les inférieurs qui sont envoyés, et les supérieurs qui envoient. Mais pour ce qui est des Anges qui sont envoyés, nous tenons aussi pour certain que même lorsqu'ils viennent à nous, ils remplissent leur ministère extérieur sans cependant jamais quitter intérieurement la contemplation de Dieu. Ainsi, tout en étant envoyés, ils se tiennent debout devant Dieu, car même si un esprit Angélique est limité, l'Esprit suprême qu'est Dieu n'est pas limité. C'est pourquoi les Anges peuvent être simultanément en mission et devant Lui : Où qu'ils soient envoyés, quand ils s'y rendent, c'est encore au sein de Dieu qu'ils courent.
14. Il faut savoir en outre que les ordres des esprits bienheureux reçoivent souvent en partage le nom d'un ordre voisin. Les Trônes, sièges de Dieu, sont, comme nous l'avons dit, un ordre spécial d'esprits bienheureux, et le psalmiste dit cependant : «Toi qui sièges sur les Chérubins, parais.» (Ps 80, 2). Les Chérubins se trouvant en effet tout voisins des Trônes dans la hiérarchie des milices, cette proximité fait dire au psalmiste que le Seigneur siège également sur les Chérubins. C'est ainsi que certains biens sont attribués dans la cité céleste à l'un ou à l'autre sans qu'ils cessent pourtant d'être communs à tous. Et ce dont chacun reçoit une participation se trouve possédé tout entier par les esprits d'un autre ordre.
Tous ne sont pas pour autant désignés d'un seul et même nom : L'ordre qui a été chargé plus spécialement de telle mission doit aussi recevoir le nom qui la désigne. Nous avons dit que Séraphin signifie «flamme», alors que tous brûlent de l'Amour du Créateur; et Chérubin veut dire «plénitude de science», bien que nul ne puisse ignorer quoi que ce soit là où tous voient Dieu, source de toute science. Les Trônes sont ainsi nommés parce qu'ils sont les milices sur lesquelles préside le Créateur, mais qui peut être bienheureux si le Créateur ne préside pas sur son esprit? Les noms particuliers qu'on attribue aux divers esprits reflètent donc des qualités que tous possèdent en partie, mais dont quelques-uns ont reçu une participation plus plénière. Et même si là-haut certains esprits détiennent quelque chose dont les autres ne peuvent disposer ? comme c'est le cas pour les Dominations et les Principautés, qu'on appelle d'un nom spécifique ? en ce lieu toutes choses appartiennent à chacun, puisque par la charité de l'Esprit Saint, tout ce qui est possédé par l'un l'est aussi par les autres.
15. Mais voici que notre recherche sur les secrets des citoyens du Ciel nous a entraînés dans une longue digression, qui nous a fait perdre le fil de notre commentaire. Aspirons donc à rejoindre ceux dont nous venons de parler, mais revenons à nous-mêmes. Nous devons en effet nous rappeler que nous sommes chair. Gardons pour l'instant le silence sur les secrets du Ciel, mais effaçons aux yeux de notre Créateur, au moyen de la pénitence, les taches dont notre poussière nous a souillés. Voici ce que la divine Providence nous a elle-même promis : «Il y aura de la joie dans le Ciel pour un seul pécheur qui se repent.» Le Seigneur n'en dit pas moins par la bouche du prophète : «Si le juste vient un jour à pécher, je ne me souviendrai plus en rien de toutes ses bonnes actions.» (Ez 18, 24). Mesurons, si nous le pouvons, comme la bonté de Dieu dispose tout avec sagesse. Il menace d'un châtiment ceux qui sont debout, au cas où ils viendraient à tomber; mais Il promet Miséricorde à ceux qui ont péché, pour qu'ils désirent se relever. Il fait peur aux uns, pour qu'ils ne soient pas trop assurés dans leurs bonnes actions; Il rend courage aux autres, pour qu'ils ne désespèrent pas à cause de leurs mauvaises actions. Es-tu juste ? Crains la colère, de peur de tomber. Es-tu pécheur? Aie confiance en la Miséricorde, afin de te relever. Hélas! voici que nous sommes tombés ; nous n'avons pu rester debout, et nous gisons dans nos désirs pervertis. Cependant, Celui qui nous avait créés dans la droiture nous attend encore et nous incite à nous relever. Il nous ouvre Son sein plein de bonté et cherche à nous faire revenir à Lui par la pénitence.
Mais nous ne pouvons faire dignement pénitence si nous ne savons pas comment nous y prendre. Faire pénitence consiste à la fois à pleurer les mauvaises actions qu'on a commises et à n'en plus commettre qu'on devrait ensuite pleurer. Car celui qui, tout en pleurant ses péchés, en commet d'autres, ou bien n'a pas commencé à faire pénitence, ou bien ne sait pas s'y prendre. A quoi bon, en effet, déplorer ses fautes de luxure, si l'on reste dévoré par les feux de l'avarice? Ou à quoi bon se mettre à pleurer des fautes de colère, si l'on n'en continue pas moins à se consumer des ardeurs de l'envie?
Mais il y a encore bien plus à faire : Il ne suffit pas à celui qui regrette ses péchés de s'abstenir entièrement de commettre ce qu'il déplore, ni à celui qui pleure ses vices de craindre d'y retomber (...).